Je ferme le rideau de fer de la boutique, ma montre indique alors huit heures du soir. Timing parfait, si si je vous assure. Je n'ai plus qu'à me repasser un coup dans la tignasse, un coup de rouge et un coup de poudre et j'étais prête, on peut être coquette et rapide, de toute façon je n'ai pas le choix en vue de mon travail et de mes activités. Là je m'en allai rejoindre des amis dans un bar de Séoul, d'ailleurs si vous sortez, nous nous sommes sûrement déjà croisés, sachez que je connais tous les bars de Séoul, ainsi que tous ses événements musicaux, interne ou externe. Une vraie fêtarde. J'adore ça, sortir, faire la fête et passer de bons moments. J'adore ça, la musique, surtout le bon rock et le post-rock et je suis fière de ma basse Rickenbacker que je ne prends plus la peine de ranger dans son étui, elle est constamment sur mon canapé, ma petite merveille, petite merveille très très chère d'ailleurs. Si je n'avais pas de vie je passerai mon temps dessus, ou sur une vieille gratte Fender que j'avais trouvé pour peu chère – une occaz'.
Je suis dans le métro et je regarde par la fenêtre, Séoul, de nuit comme de jour, est une ville très speed, comme moi, je dois bouger, je dois constamment faire quelque chose, appelez ça de l'hyperactivité si vous le désirez mais je ne me considère pas comme telle. Pendant ce temps de route, je consulte mon téléphone, constate les misères que nous servent les médias avant de lâcher un soupire et de finalement le ranger dans mon sac en bandoulière, je consulte les informations histoire d'être à la page bien que cela ne m'intéresse pas plus que ça, étant une éternelle insatisfaite j'aurai toujours à redire de la société qui nous entoure, rien que sur celle du pays il y a des tas de choses que je ne conçois pas, comme le fait qu'il soit interdit d'avorter et que cela reste sous silence. La voix du wagon annonce mon arrêt, je descends rapidement avant d'emprunter les escalators qui me conduisent à la sortie de la bouche, je baille déjà, la soirée sera longue et se terminera tard, très tard, c'est ça de côtoyer le patron et puis il y a une session de jam ce soir à laquelle je participerai très certainement. Déjà que je m'y produis une fois toutes les semaines, avec ma vieille Fender et une acoustique, je fais des reprises, et parfois mes compos.
Mes amis me font signe au loin, même eux ne savent pas comment ils font pour me suivre et me supporter parfois, mon très fort caractère est un problème, j'aime avoir raison et j'ai horreur de me faire marcher dessus, mais en contrepartie je suis toujours là en cas de pépin, combien de fois ai-je bien pu héberger l'un de mes potes en dèche de tunes ? Ouais, ça doit être pour ça que mes potes m'aiment, on peut toujours compter sur moi. Je les rejoins alors avant de m'en aller avec eux en direction de notre quartier général, parée à passer une bonne soirée.

Quatre heures du matin, cela fait déjà deux heures que je suis rentrée et je peine à trouver le sommeil, peut-être l'alcool, peut-être la musique, peut-être l'ambiance ou peut-être un mélange de tout ça. Un tas de questions m'étaient venues en tête alors que je me roulais dans mes draps dans l'espoir que mes paupières se ferment, en vain. Combien de litres d'alcool ai-je pu avaler depuis mon arrivée à Séoul ? Combien sur toute ma vie ? Combien de soirées ? Combien de festivals ? Ce n'était pas par fierté que ces interrogations envahissaient mon esprit, c'était plutôt une remise en question. Je repensais à ma ville, Yangju, que j'avais quitté il y a deux ans pour monter sur la capitale, je repensais à mon frère jumeau, à notre mère en fauteuil roulant. Était-ce égoïste de quitter sa famille – ou tout du moins mon frère – pour ses rêves de gloire qui, au fond, n'aboutiront jamais comme les neufs dixièmes des musiciens comme moi ? Etait-ce égoïste d'avoir quitter mon frère que j'aimais tant pour vivre une vie meilleure ? Etait-ce une bonne chose de ne plus parler à sa mère ? N'étais-je pas fautive ? Une mauvaise fille ? On ne s'entendait pas, c'est évident, nous n'avions jamais su nous comprendre, véritable dialogue de sourds et moi j'ai craqué, j'ai tout arrêté, je n'en parle pas aux gens qui m'entourent, on me jugerait comme fautive mais quand on y réfléchit bien, c'était elle qui était horrible, sans cesse en conflit, si je lui parlais encore aujourd'hui certainement que demain ce serait fini. Peut-être que j'aurais dû continuer mes études, je n'étais pas forcément une tête mais je savais me débrouiller, j'aurais au moins eu l'assurance d'un avenir, je ne m'imagine pas vendeuse toute ma vie, et qui me dit qu'un jour j'arriverai à monter autre part que sur une estrade ? J'ai un public sur internet, j'en ai même un petit sur la capitale, mais sera-t-il toujours là ? Est-ce qu'il ne m'oubliera pas au fil du temps ? Est-ce que j'arriverai à vivre de la musique toute ma vie ? Je sais que c'est compliqué d'en vivre, là, je ne pouvais pas, mais est-ce que mon futur album pourra me lancer ? Qui dit que ce ne sera pas un flop. Je soupire une nouvelle fois, sortant du lit en me frottant le visage, et décide d'aller boire un verre d'eau, je me regarde alors dans le reflet du micro-onde et des questions habitaient toujours ma tête. Vais-je finir heureuse dans la vie comme je l'entends ? Est-ce que ma place n'est pas auprès de mon frère à Yangju ? Est-ce que ma vie ne devrait pas continuer et se finir là où elle avait commencé ? Et puis je repense à la soirée de ce soir, de mes amis de Séoul, des gens géniaux, je souris. Non, ma vie est ici, je suis bien ici, parce qu'ici, mes rêves semblent à porter de main, il suffisait juste de tendre le bras, parce qu'ici j'avais construit quelque chose en deux alors dont les schémas n'étaient même pas terminés dans ma ville natale, parce qu'ici, tout va vite et qu'au fond c'est ce qu'il me plaît. Je retourne me coucher avec finalement la pensée que j'ai fait les bons choix et que j'avais encore un tas de choses à construire en ce lieu.