Si la classe moyenne était tout ce qu'avait connu Hongjin, il n'en était pas moins un être inférieur aux autres. Du moins c'était ce qu'il essayait de se dire depuis des années mais c'était difficile à faire rentrer un tel mensonge dans sa cervelle lorsque toute sa vie ses parents lui ont répété à quel point ils auraient préféré qu'il soit comme son aîné d'un an. L'un avait tout réussi l'autre avait tout perdu, jusqu'à l'espoir dans les yeux de ses parents. Mais il n'en était pas malheureux pour autant. Du moins en apparence.

Hongjin était une personne sociale, ouverte à tout le monde et à toutes les façons de penser. Il restait très positif sur tout ce qu'il se passait autour de lui et se promenait même toujours avec ce petit sourire qui lui donnait un air arrogant sur le visage. Mais ce n'était pas voulu. Certains pouvaient dire qu'il était comme un rayon de soleil dans la capitale séoulite, d'autres diront qu'il ne fait qu'un show pour que tout le monde l'apprécie. Mais en vrai, il était tout simplement perdu dans sa bulle où il vivait dans un monde imaginaire. La vie ne lui avait pas toujours souri et son seul refuge avait été l'art pour lequel il était plutôt doué. Il se fichait bien de ce qu'il pouvait se passer autour de lui tant que ça ne l'affectait pas, ce qui arrivait rarement. Il était tellement détaché de la réalité que ça lui arrivait parfois de perdre pied. Il pouvait ne pas répondre en pleine conversation et perdre le fil des choses. Il était dans ses pensées, il était bien et il suffisait d'un simple contact pour le faire revenir dans la réalité.

C'était aussi pour cette raison qu'il était si distant de son entourage. C'était très difficile pour Hongjin de se faire des amis et si ces derniers venaient à le quitter, il n'irait jamais verser une larme. C'était la vie et c'était ainsi, il l'acceptait aussi simplement que cela. Or c'était plus difficile du côté de la personne en face du coréen. Celle-ci aurait souvent l'impression d'être en face d'une personne agréable, mais sans cœur. Une personne intouchable au plus profond d'elle-même.

Ce détachement était une protection qu'il s'était crée il y a plusieurs années de cela. Blessé jusqu'au sang, il ne voulait plus personne trop proche de lui. S'attacher n'était plus pour lui, c'était bien trop effrayant. Car cela voulait montrer qui il était vraiment. Le petit garçon qui n'avait pas encore grandit et qui attendait encore le retour de sa mère pour qu'elle puisse le prendre dans ses bras et le rassurer. Au fond de lui, il était blessé. Et ces blessures mettaient beaucoup de temps pour guérir. Il ne souhaitait plus se montrer faible et redevenir le fardeau qu'il était. Alors il cachait tout derrière cette attitude positive et détachée.

S'il y avait bien un défaut qu'il faudrait relever chez Hongjin, ce serait son égoïsme. Penser à lui avant les autres étaient la meilleure méthode qu'il avait trouvée afin de continuer sa vie et avancer quelque part. Vivre avec le frère qu'il avait lui apprit qu'il était parfois nécessaire d'être égoïste pour s'en sortir, et il n'avait plus jamais lâché ce trait de caractère depuis.

Toujours propre sur lui, il savait se passer pour ce qu'il n'était pas : Un homme riche et qui possédait tout ce qu'il voulait. Il aimait la mode et la suivait de très près lorsque son budget le lui permettait, jamais il ne se laissait aller sauf lorsqu'il était entre les quatre murs qui faisaient son studio et à l'un de ses deux boulots qu'il avait réussi à se dégoter par hasard.

Née dans la banlieue de la capitale, Hongjin s'était retrouvé dans une famille aux revenus moyens. Ils possédaient tout de même de quoi vivre tranquillement mais devaient certainement oublier certains conforts. Il était parfois conseillé de toujours éteindre les lumières et préférer laisser entrer les rayons du soleil tout comme, parfois, c'était aussi préférable de ne pas traîner sous la douche pour que l'eau ne coule pas de trop. Tout une habitude qu'il fallait prendre afin de faire des économies. C'était la façon de vivre des Baek depuis toujours. Le père travaillait dans une petite entreprise qui lui permettait juste de soutenir sa famille et boucher le trou dans les comptes laissé par sa femme qui ne travaillait plus depuis qu'elle avait eu son premier fils. Hongjin n'était pas le seul descendant des Baek, il avait un grand frère, Hongmin, d'un an son aîné avec qui il avait beaucoup de mal à s'entendre.

Cela faisait des années que le cadet de la famille vivait dans l'injustice. On disait qu'un accident était vite arrivé et c'était le cas pour Hongjin qui en payait encore le prix fort. Un jour où le soleil avait décidé de se cacher derrière un voile de nuages, il n'était alors qu'âgé que de six ans et il jouait avec son meilleur ami dans un parc pour enfants. Si la balançoire était son jeu préféré, il devint vite l'ennemi public numéro un. Sa mère lui avait pourtant souvent répété de faire attention, qu'il pouvait y avoir des gens autour de lui, que balancer ses pieds n'importe où, surtout lorsqu'un enfant se trouvait devant, n'était pas la meilleure idée que l'on puisse avoir. Mais il était jeune, trop jeune, alors il se balançait comme un enfant de son âge faisait, bougeant ses jambes au bon rythme pour aller toujours plus vite, toujours plus haut. Jusqu'au moment où son meilleur ami arriva devant lui, un grand sourire au visage. Grand sourire qui se transforma en horreur lorsqu'il reçut les pieds de Hongjin en plein visage.

Deux dents ont été cassées, son arcade sourcilière ouverte et un énorme bleu sur la joue. C'était pardonnable, ils étaient meilleurs amis après tout, mais ce qui avait été fait ne pouvait pas être défait. Les parents de son meilleur ami étaient furieux, ils en voulaient à Hongjin pour avoir osé défigurer leur fils unique chéri. Ils demandèrent un dédommagement aux parents du cadet afin de payer les traitements pour les blessures et la mise en place de nouvelles dents. Sauf que c'était sans compter sur le fait que les parents de Hongjin ne pouvaient pas se permettre une telle dépense aussi soudaine. Et c'était ainsi que commençait le cauchemar pour le plus jeune de la famille.

Au départ c'était simplement de la colère de la part de ses parents, colère qu'il pouvait parfaitement comprendre bien que ce n'était qu'un accident et qu'il n'était pas entièrement en faute. Ensuite il eut la différence entre son frère et lui qui se creusa. Ses parents donnaient toujours à Hongmin et oubliaient très souvent leur second fils. Que ce soit pour des grandes et rares occasions, ou la taille et qualité des cadeaux pour leur anniversaire. Cette différence serait faisait de plus en plus présente au fur et à mesure des années qui avançaient, jusqu'au jour où les parents firent comprendre à Hongjin qu'ils n'avaient tout simplement pas assez d'argent pour lui payer l'université alors que son frère y allait depuis à présent un an. Tout allait parfaitement chez son grand frère, l'enfant modèle de la famille, celui qui n'avait pas ruiné son héritage et qui irait loin car lui, au moins, il faisait des études supérieures. Même son meilleur ami ne lui parlait plus depuis l'accident. Hongjin avait tout perdu et se sentait seul comme jamais pendant toutes ses années.

Alors il avait trouvé un refuge. Il s'était complètement détaché de tout émotionnellement, et l'art était la seule chose qui lui permettait de s'exprimer. Dessiner était ce qu'il préférait. Il avait appris aussi rapidement à jouer de deux instruments dans le dos de ses parents, grâce à une de ses relations douteuses qu'il s'était fait vers la fin du lycée mais avait vite abandonné car il ne pouvait pas s'entraîner correctement. Pourtant le dessin était resté, et il souhaitait vraiment faire quelque chose de sa vie avec seulement un crayon et du papier. Mais il était évident qu'aux yeux de ses parents ce genre d'activité n'allait jamais être acceptée pour la simple et bonne raison que c'étaient des études qui n'apportaient pas d'argent à leur yeux, tout le contraire des études de marketing que faisait son grand et talentueux grand frère. Leur fils n'avait pas d'avenir à leurs yeux.

Et ce fut le jour où la goutte en trop fit déborder le vase. Il n'en pouvait plus de la pression dans laquelle il vivait quotidiennement, ni même de l'ombre de son frère qui le cachait de tout le monde, alors il disparut, du jour au lendemain, se trouvant un mini-studio qu'il pouvait se payer grâce à ses années d'économies. Heureusement pour lui, il avait réussi à trouver un boulot à temps partiel dans un bar gay pour payer sa nouvelle vie mais ce n'était pas assez. Ce fut le jour où sa relation douteuse refit surface et lui proposa un autre boulot dans un sexshop. Être un simple vendeur pour aider le patron, rien de sale. Alors il accepta. Ayant rassemblé un peu d'argent grâce à ses deux boulots, il s'était permis l'achat d'un petit chat pour cacher sa solitude qu'il vivait parfois très mal. Il avait aussi la mauvaise idée de se faire un tatouage recouvrant tout son dos pour se prouver à lui-même qu'il était encore en vie, qu'il pouvait encore faire quelque chose de son corps car il souffrait et la souffrance était signe de vie. Et depuis, il enchaînait ces deux boulots tout en gardant la tête haute et tentant de respirer pour ne pas étouffer sous la vie misérable qu'il avait.