On m’a toujours dit que j’avais un caractère de cochon. Et à l’époque, fougueux et insupportable gamin que j’étais, je refusais de croire cette abomination. Non, je pensais être un garçon très gentil. Sauf que je ne l’étais pas. J’étais souvent sujet à des crises de nerfs, ou simplement des caprices d’enfants. Ne pensez pas que je viens d’une famille fortunée, mais mes parents vivaient bien. Je suis têtu, et ça maintenant je l’accepte avec joie, mais je suis reconnaissant envers les cieux de m’avoir donné ce caractère de merde. Je ne suis pas vraiment émotif, du moins je le suis moins que la plupart des autres. Ce qui peut vous paraître absolument cruel et injuste ne me fera pas plus pleurer que rire. Je n’aime pas m’apitoyer sur le sort des autres, dans le métier, on n’a pas vraiment le choix. Mes sentiments, je les garde pour moi, faute de ne pas pouvoir m’exprimer. En fait, je n’ai jamais été doué pour les sentiments. Jamais je n’ai montré clairement mon affection pour qui que ce soit, même mes propres parents. Dire « Je t’aime », ou bien « Je te hais », je ne sais pas les dire. Je n’aime pas les prononcer. Pourquoi est-ce que vous voulez tous qu’on le dise ?

Je suis du genre à faire les choses bien. J’aime aller au bout de ce que j’entreprends et généralement, si je le fais bien je peux dormir sur mes deux oreilles. Je ne suis pas maniaque, je suis simplement quelqu’un qui aime le travail bien fait. En parlant de travail, moins vous me posez de question dessus, mieux ça ira entre nous. Parce que je sais bien mentir, tellement bien que je pourrais presque croire à mes propres mensonges. Mais ça, vous n’êtes pas censés le savoir.

Je n’aime pas les gens trop curieux, je trouve ça tellement indiscret de vouloir tout savoir sur les autres, alors si je décide de vous parler de moi-même, ça sera parce que je le veux bien, mais inutile de me poser dix mille questions, car je ne répondrai sûrement pas. Vous allez me dire que je suis quelqu’un de vieux jeu sans aucun humour, mais détrompez-vous, je reste un humain comme tout le monde, et comme tout le monde je ris, je pleure, je pète, je rote, je frappe, je tombe et je me relève.

Il est assez difficile de devenir amis avec moi, non pas parce que je suis détestable, et ça je le comprends, mais déjà parce que je suis toujours pressé, sur quatre chemins ou bien chez moi à me reposer. Car oui, ma vie mouvementée requiert parfois plus d’efforts que vous assez derrière votre bureau à secrètement aller sur Facebook pendant votre boulot, ou vous l’étudiant à faire semblant d’étudier alors que vous dormez sur votre pupitre.

Je ne suis pas ambitieux. Mon train de vie me plait pour l’instant, et je n’ai pas de projet de le changer, ce qui implique que les relations amoureuses trop sérieuses, je les évite. Un homme comme moi n’apporte pas plus de bonheur que le temps de vacances d’été. Du moment que j’ai un endroit où revenir et quelques personnes avec qui parler, ça me suffit amplement.

La raison pour laquelle j’ai voué ma vie à ma patrie, c’était pour une raison simple. James Bond était mon héros. Je l’adorais, je rêvais d’être comme lui, bien que la réalité était bien autre. Je devais aussi avouer que je voulais faire mieux que mes parents. Mieux que mon père qui avait fermé son restaurant et ma mère qui travaillait pour le reste de la famille. Mon frère lui, il s’en fichait, du moment qu’il restait à la maison.
Les moments heureux de l’enfance s’achevèrent quand j’ai pris conscience que mon père buvait et qu’il ne faisait aucun effort pur supporter et aider ma mère. J’étouffais dans ce milieu tendu et propice à des disputes en continues. Je suis parti en internant du collège au lycée, ne revenant que pour les vacances et encore, je faisais des petits boulot ici et là pour essayer de mettre de l’argent de côté.
Je me suis éloigné de ma famille, je me suis fait quelques amis, mais cela n’a pas duré. J’étais plus préoccupé par ce que j’allais faire, et les images de mon père frappant ma mère éplorée me hantaient la nuit. J’avais peur qu’un jour, la police ne débarque, disant qu’elle était morte sous les coups violents de mon père. J’avais peur, mais j’étais un lâche. Que voulez-vous ? Un frêle gringalet de 15 ans essayant de protéger sa mère contre un homme violent et alcoolique ? On risquait plus d’y rester tout les deux que de survivre.
C’est vers le lycée que j’ai commencé à changer physiquement. Mes traits se sont affinés, et quand je finissais mes entraînement de taekwondo, je me disais à chaque fois que je venais de faire un pas vers un homme fort. Je recevais des messages de mon frère qui lui était resté en enfer. Maman allait mieux, Papa était toujours aussi alcoolique et seul.

Le concours d’entrée dans le gouvernement, du moins la face cachée était dur. Une batterie de tests, physiques, mental, tout y était pour sonder notre personne, voir si nous étions prêts à tenir le choc. Je ne savais pas exactement si j’en étais capable, mais je repensais encore à la misère, ma misère. Je n’étais certainement pas le dernier des hommes à avoir grandi dans une famille pareille, et je devais avouer que ça m’avait forgé l’esprit. Honnêtement, quand on voit la noirceur de notre société, je pense que nous n’avons plus peur de quoi que ce soit. Mais je me trompais.
Travaillant au sein d’une organisation nationale secrète, je ne pouvais même pas informer ma famille de ce que je faisais, alors je mentais, je trouvais un faux métier, une fausse vie professionnelle. Je mentais très bien, je savais comment détourner leur attention. Ce qui était pratique, c’est que mon apparence ne poussait pas du tout à penser que je pouvais être quelqu’un qui travaillait pour l’état. Je n’avais pas excessivement l’air d’être un mec viril, au niveau du faciès, mais comme on dit, l’habit ne fait pas le moine.

Et puis un jour, alors que j’étais posté près de la frontière, je reçois un message de mon frère. Elle est morte. Ma mère est morte. Je ne savais plus les circonstances de sa mort, mais ce n’était pas à cause de mon père, d’après mon frère. A qui la faute dans ce cas ? Je ne l’ai jamais su. Je n’ai pas arrêté pour autant de poursuivre ma voie, même si c’est dangereux, car les hommes et les femmes qui travaillent comme ce que vous appelez espions, il en faut. La sécurité, la paix et les jours que vous passez avec insouciance, c’est quelque part grâce à nous que vous pouvez dormir les deux yeux fermés.

J’ai appris à sceller mes sentiments, même si je veux crier de rage, si je veux pleurer, je n’arrive plus à les faire sortir. Ils sont comprimés en moi comme de vulgaires souvenirs. Je me suis parfois demandé si j’avais bien fait, si ça valait la peine d’en arriver là ? Et comment ça se serait passé si j’avais décidé autrement ? Je n’en avais aucune idée, et je n’arriverai sûrement jamais à me visualiser autre que ce que je suis maintenant.

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