Les deux faces d’une pièce. Si différentes, pourtant elles font partie du même tout. Sehan est ainsi. Perturbant, insaisissable. Le regard parfois lourd, les sourcils qui se froncent méchamment et pourtant le sourire enfantin sur les lèvres. Deux côtés qui se font la guerre. Son corps, ses habitudes, qui sont déconnectés de son cerveau. Y’a pourtant des choses qui ne changent pas. Son regard s’y pose fixement, comme des souvenirs flous qui réapparaissent. La nicotine et l’alcool en font parti, toujours aussi accro.

Il y’a les gestes familiers, ses doigts qui se resserrent sur la cigarette et la cerise au fond du verre de whisky. Mais il n’est plus le même homme. Il n’a plus la voix froide quand il parle, les insultes, la violence dans ses actes. Ce n’est plus cet être impassible que tout le monde ne pouvait que détestait. Il a parfois des réflexes, rapides, imperceptibles. Même lui ne s’en rend pas compte. Tout est si loin.

Il n’est plus l’homme fort et impitoyable. Il n’est plus qu’un enfant.

Il rit de la moindre bêtise, insouciant et espiègle. Il aime plonger ses pieds dans l’eau, lever les yeux au ciel et fixer les étoiles, donner un nom idiot à chacune d’entre elles. Il redécouvre la vie. Il la croque. La maison n’est plus silencieuse ni morne. Des couleurs partout, sur les murs et dans son cœur. Il est joueur. Il est taquin. Il est têtu aussi, beaucoup, cela n’a jamais changé. Il a ses caprices, ses demandes fantaisistes. Ce gros chat qu’il adore alors qu’il a toujours détesté les animaux.
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Ses yeux. Son corps…Rien ne semble vouloir lui obéir. Il veut bouger mais il en est incapable. Il veut ouvrir la bouche mais a l’impression que l’air lui manque, qu’il n’a plus de poumons pour respire. Ses douloureux. Avec lenteur, il quitte sa torpeur. Trop lumineux. Trop blanc. Partout autour de lui. Il entend quelques bips, les bruits qui commencent à se faire de plus en plus clairs. Il cligne des yeux sans cesses, des visages inconnus apparaissant au-dessus de son visage. Il a peur. Il sent son cœur battre plus rapidement, cogner dans sa cage thoracique. Il est effrayé. Ce court moment de lucidité ne dure que quelques minutes. Ses yeux se referment et il s’en va à nouveau. Il ne sent déjà plus rien.

Sehan ne sait rien. Il n’a plus conscience de quoi que ce soit. Désœuvré, seul, dans cette chambre blanche et immense. Son regard est bloqué sur le mur à sa droite tandis qu’une infirmière s’affaire à ses côtés. Il a envie de se lever, bouger et courir partout, sentir l’air claquer sur son visage. Mais il est emprisonné dans ce corps trop grand et encore invalide pour le moment. Il boude, crie parfois quand il a assez de forces dans la voix. Mais tout le monde l’ignore. Personne ne l’écoute.

Et puis il y’a eux. Ces visages à la fois familiers mais si étrangers. Famille. Difficile à croire malgré la ressemblance physique. Il a l’air tellement décalé à côté de leur air sévère et morose.

Y’a la pluie dehors et lui a juste envie de sauter dans des flaques d’eau et sortir la langue pour récolter quelques gouttes d’eau. Comme un gosse.

Comme l’enfant qu’il a été il y’a une vingtaine d’années déjà et qu’il n’est plus aujourd’hui.

Mais il n’en a pas conscience. Il a tout oublié. Un accident de voiture et un coma de plusieurs mois ont été suffisants pour tout effacer de sa mémoire. A mesure que les jours passent, le jeune homme arrive à reconnaitre les personnes dont il a été le plus proche. Il ne se rappelle pas des sentiments qu’il avait à leurs égards, mais sait qui elles sont.
Sa famille, quelques employés, Maru…Mais c’est difficile de juger lesquels avaient le plus d’affinités avec lui. Et il ne cherche même pas à savoir vraiment.

Toute une vie envolée derrière lui. Et peut-être qu’il n’a pas envie de la retrouver. Mais les docteurs ne cessent d’affirmer qu’il fait des progrès et que la mémoire lui reviendra, il faudra simplement attendre. De la patience et du repos. Rien que cela.

A la maison, Sehan est comme un enfant de primaire. Un enfant géant qui doit enfiler des costumes hors de prix et se montrer de temps à autre à l’entreprise familiale pour faire bonne figure. Parce que tout le monde est certain qu’il retrouvera bien assez rapidement son poste de directeur.

En attendre, le brun rit et s’amuse. Inconsciemment, son corps semble fébrile de retrouver une liberté qu’il n’avait plus depuis des années. Il passe ses journées à se promener et apprendre. Parce qu’il doit tout se réapproprier. Il est insouciant et heureux.

Il ne se souvient pas du démon qu’il a été avant. Il ne voit pas, parfois, le regard effrayé de certains employés puis leur surprise quand il leur adresse un sourire ou une douce attention. Cela le détruirait certainement de savoir que, Maru, l’homme qu’il considère à présent comme son meilleur ami a été sa victime favorite durant toute son enfance et la cible de toutes ses moqueries.  A quel point il aimait le malmener, en faire un jouet entre ses mains juste parce qu’il pouvait. Cela le détruirait totalement de réaliser que Maru n’est à ses côtés que par obligation et qu’il ne fait qu’obéir aux ordres de son paternel. Que réellement, l’homme le déteste plus que tout.

Mais peut-être qu’il ne saura jamais. Il est impossible pour lui d’imaginer avoir été un connard. Cet homme abject qui se croyait tout permis simplement parce qu’il vient d’une famille fortunée. Il piétinait tout sur son passage.

Il l’a revit aussi, cette magnifique brune, ange du passé. Il parait qu’ils ont été fiancés et qu’elle a rompu leurs fiançailles quand il est tombé dans le coma. C’est vrai que son cœur a raté un battement quand il l’a vu, mais seulement parce qu’elle est belle. Il ne sait pas s’il a aimé un jour. En tout cas, il ne s’est pas vu retourné à ses côtés. Et elle non plus, en voyant l’enfant qu’il était devenu. Il n’est plus cet homme fort et intransigeant qu’elle a aimé. Il est devenu un ami, presque un petit-frère et un confident. Et quand elle voit son innocence, elle n’ose pas non plus lui dire qui il est réellement.

Il peut encore profiter de ne pas encore se souvenir. Pour le moment.